Les sens de la cuisine
Aujourd’hui me trotte dans la tête le fait que la cuisine est la seule activité qui fait jouer les 5 sens.
On pense bien évidemment tout de suite au goût, mais il y a aussi les couleurs, les sons, les textures, les odeurs.
J’imaginais les arrivées des sens pour un petit bébé qui vient de naître, il commence par être touché et entend le monde autour de lui, puis il cherche l’odeur de sa maman, il goûte son lait puis enfin la vue s’affine peu à peu et c’est le dernier sens a être totalement défini et précis après plusieurs semaines.
Tous les sens sont aussi aiguisés dans la cuisine, on sent un fruit comme le melon pour savoir s’il sera sucré et parfumé et on se précipite sur la casserole qui commence à sentir le brûlé. Mais rien n’est plus difficile à définir que l’odeur. On se rapproche d’une odeur par l’expérience, on dit : ça a un peu la même odeur que… mais dire une odeur ? Il faut se rapprocher des « nez » en parfumerie qui ont un lot de mots : hespéridés (odeur des agrumes), aldéhydés (odeur des pommes), floral, etc. Mais vraiment quand vous sentez un parfum essayez de le décrire, c’est juste impossible si la personne face à vous n’a pas les mêmes références olfactives. De plus il y a les odeurs qui sont perçues inconsciemment : les phéromones qui font par exemple qu’une femme enceinte sera attirée par les hommes ayant la même signature olfactive que sa famille (pour la protection du clan je suppose) et quand elle n’attend pas de bébé sera attirée par les hommes ayant une odeur différente (pour renouveler les gênes ?). C’est un monde intuitif et terriblement personnel. Ma fille ainée m’a associée à un parfum, quand elle le respire c’est l’odeur de maman.
On goûte le plat pour voir l’équilibre des saveurs : salé, sucré, amer, acide et piquant, certains ajoutent aux saveur l’umami, à ce jour je ne comprends toujours pas ce que représente cette saveur trouvée par les japonais. Le salé c’est comme l’eau de mer, le sucré c’est comme le miel, l’amer c’est comme la peau blanche du citron et l’acide comme le jus du même citron, le piquant c’est le piment. Mais l’umami je ne saurais pas dire ce qu’il est.. savoureux ? ça veut dire quoi savoureux ? Si quelqu’un pouvait me faire goûter un plat avec umami et le même plat sans umami je saurais mais pas avant !
La vue est aussi un appel à la gourmandise dans la cuisine. Les couleurs, les formes aussi bien des produits de base que des produits finis. Un meilleur ouvrier de France m’a appris quelque chose. Il a été président de multiples jury de professionnels et m’a dit ceci : quand un professionnel présente mal un plat il est forcément mauvais, par contre pour les amateurs c’est différent et on peut être surpris par les saveurs d’un plat mal présenté. Cela me rassure entièrement : je ne suis pas du tout pro !
Le sens de l’ouïe est discret en cuisine, pourtant quand je fais cuire mon riz à couvert je l’écoute et dès qu’il commence à grésiller j’éteins aussitôt le feu. Ce ne sont pas les sons des symphonies bien orchestrées où l’on ne fait attention qu’aux sons et à leur justesse, ce sont les petits bruits des oignons qui chantent dans la poêle, du son creux de pain cuit quand on toque sur la croûte, du chuintement de l’orange qu’on presse, du crépitement du barbecue, du craquement du pain grillé, de la lame du couteau qui tranche avant de butter sur la planche. Ce sont des centaines de petits bruits qu’on connaît et auxquels on ne fait pas attention. C’est un univers familier et rassurant plein de toutes petites choses si banales.
Le sens du toucher se passe à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur de notre corps. A l’extérieur ce sont plutôt des mains qui vont ressentir la douceur de la pâte à pain qu’on malaxe, moi je crois que ce n’est pas pour rien qu’on appelle « des miches » de pain ! La chaleur, le froid, la douceur, le grain des textures : du plus doux au plus rugueux, la souplesse, l’élasticité, la dureté. Toutes ces sensations qu’on perçoit avec les mains et les doigts et puis après il y a le toucher « à l’intérieur » c’est à dire dans la bouche : croquant, fondant, gluant, mou, tendre, liquide, dur, chaud, froid, tiède, etc.
Si on pouvait cuisiner vraiment et être tout entier absorbé par les sens lorsque nous cuisinons. Être là, absolument dans l’instant, en ressentant toutes ces choses, non pas en habitué, mais en découvreur et en aventurier, je suis sûre qu’on aurait alors une autre perception du présent et qu’on se libérerait de beaucoup de ce qui est superflu et inutile. Ce serait alors une façon d’être entier, par tous ces petits gestes habituels, par cette écoute profonde, on pourrait alors atteindre à un état bien plus vaste et plus large que la seule élaboration d’une recette de cuisine. Le zen dans l’art de cuisiner en quelque sorte…